Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Remarquez, les moins de trente également. On ne parlera pas non plus de Montmatre qui en ce temps-là accrochait peut-être déjà ses lilas. Lilas, quelle belle couleur, une couleur qui rejoint presque le mauve des superbes maillots des Los Angeles Lakers. Aujourd’hui il est temps de rendre visite à une légende oubliée des Lakers, à l’époque où ils jouaient encore sous le nom de Minneapolis Lakers. Sortez les clefs de votre DeLorean, direction les années 50.
A cette époque, l’équipe qui règne sur la jeune ligue de basketball qu’on nomme NBA s’appelle Minneapolis Lakers. Une équipe qui commence à se créer un palmarès, le premier d’une longue dynastie, initiée par la véritable star de la décennie. Rangez vos Wilt Chamberlain, Michael Jordan, LeBron James ou Larry Bird, ici on vous parle de George Mikan. Belle gueule du monde du basket, celui qui aurait pu être le sosie officiel d’Harry Potter version XL, Mikan suscitait un véritable mouvement de foule quand la star se ramenait en ville.
Grande asperge de 2m08, George Lawrence Mikan sans le savoir a façonné la ligue telle qu’elle est aujourd’hui. Plus encore, il sera la première pierre de beaucoup de travaux, qui notamment auront débouché sur l’école de pivots que sont les Lakers à l’heure à laquelle je tape ces mots. Quand les fans aujourd’hui pensent à Steph Curry qui force les défenses à s’étirer, au Shaq qui a contraint la NBA à revoir ses paniers suite à de nombreuses destructions ; ce bon vieux George doit rire aux éclats. Pourquoi ? Tout simplement car celui qu’on a nommé Mr Basketball a forcé la toute jeune NBA et même la NCAA auparavant à mettre en place des règles pour « réduire son influence ». Imaginez-vous qu’on interdise aux plus grosses gâchettes actuelles de ne pas prendre plus d’un, voire deux (soyons gentils) tirs à 3 points lors d’un match. Oui, on a inventé des règles pour arrêter un homme d’être dominant.
Si vous pensez que cela suffit pour arrêter le bonhomme, prenez également en compte que le goaltending découle de ce bon cher Mikan qui excellait dans l’art de réduire le cuir à l’état de pancake contre la planche. A notre grand dam, la case contre ne figure pas dans les fiches statistiques, tout comme la ligne à trois points.
Véritable légende vivante les éloges fusent à tout va. Les Lakers forts d’un collectif bien huilé et digne d’une grosse écurie hollywoodienne déroulent. Un rouleau compresseur qui amène cinq jolis trophées de champions en six saisons. Mikan aura jonglé entre toutes les ligues possibles et aura écrasé partout où il sera passé. Tellement influent, tellement désiré par les fans, le sublime Madison Square Garden n’hésite pas à mettre les bouchées doubles pour faire comprendre au fan que le phénomène est en ville. Dans les années 50, les New Yorkais auront donc vu des panneaux d’affichage « Ce soir c’est Mikan contre les Knicks ». Difficile d’imaginer des gros panneaux publicitaires devant le Staples Center : « Ce soir c’est Kobe contre Utah ».
Dans le style de jeu on était proche de la lenteur, de l’application et en même temps d’un jeu dur au mal. Aux prémices de ce sport, un Mikan dominant devait gentiment se faire gratifier de quelques fautes sympathiques. On oublie trop souvent que le numéro 99 a possédé un move qu’on attribue plus à quelqu’un d’autre mais qui pourrait lui revenir de droit : le sky hook. Oui Kareem Abdul Jabbar est le maître incontesté du sky hook, mais si ce move a un père, le nom du paternel s’appelle Mikan.
L’héritage de ce grand monsieur est monstrueux. Comme dit précédemment, son influence, sa domination a modelé les pivots actuels de la Ligue, qui ont certes vu des cerveaux révolutionner le poste, mais toujours en s’inspirant de Mikan. Michael Jordan a eu Elgin Baylor, Kobe a eu Michael, les pivots ont George Mikan.
Mikan a brillé par son talent offensif, il aura également fait partie d’un match qui sera à jamais dans les livres d’or du basket. 22 Novembre 1950, les Fort Wayne Pistons reçoivent les Minneapolis Lakers pour un match qui s’annoncera des plus rébarbatifs sur terre. Les journaux titreront le lendemain le score final de … 19 à 18 pour les Pistons. Sur les 18 points des Lakers, Mikan en marque bien évidemment 15. Ce match d’un intérêt proche d’un documentaire de 24h sur l’huître d’Oléron aura pour conséquence de déboucher sur une nouvelle règle : les 24 secondes. Ce match si alléchant rien qu’à en voir le boxscore final, décroche sans doute possible l’Award de match le moins prolifique en termes de points. Ah George, si tu pouvais voir le All Star Game depuis les cieux….
Dernière anecdote pour en finir sur ce bon vieux Mikan, après ce sera à vous de faire votre travail de recherche comme des grands ! Lors d’un match opposant les Lakers aux Milwaukee Hawks (oui) quelle fut la surprise de voir que le panier de basket était un poil plus haut. C’est avec un grand sourire narquois que les Hawks pensaient duper les Lakers de Mikan avec des paniers à 12 feet de hauteur, soit 3m65. Néanmoins ce que l’histoire ne raconte pas forcément, c’est le caractère à double tranchant que cet acte mesquin a eu. Avec un fade 2/14 aux tirs, le pivot de Minneapolis a tenu un discours qui suscité une réflexion de la part de la ligue, qui pris donc l’initiative d’uniformiser la taille des arceaux :
« Cette idée a désynchronisé tout le jeu, on a tous été blessés par cet acte. Cela rend le jeu plus difficile aux petits et creuse l’écart avec le grand qui devient encore plus grand. Mais j’imagine que cela la Ligue n’y avait pas pensé exact ? »
Quelle classe. Un charisme de star du cinéma couplé à des déclarations et des actes qui ont eu un impact sur la NBA. Le jeune homme qui était critiqué pour son physique et son allure de grande gigue était devenu grand dans tous les sens du terme. Plus grosse performance de sa courte carrière ? 61 points lors d’une affiche Minneapolis Lakers – Royals Rochester. Après deux prolongations le score final sera de 91-81, le reste de l’équipe n’a marqué que 30 points alors que ce cher Mr Basketball envoyait la soixantaine avec 36 ballons gobés sous la raquette.
9 années passées à taper le cuir sur un parquet, dont 7 en NBA ; Mikan sans le savoir écrivait l’histoire du sport que nous aimons regarder aujourd’hui. Avec 23.1 points et 13.4 rebonds en moyenne, il devenait premier monument d’une lignée de pivots chez les Lakers. Suivront les Chamberlain, Jabbar, O’Neal et bien d’autres encore, qui reconnaissent l’héritage laissé par ce joueur au physique atypique, qui aurait pu passer à un rien de ne jamais enfiler une paire de sneakers.
« Je me souviens, mon coach de lycée m’avait dit : On ne peut pas jouer au basket avec des lunettes, rends ton uniforme, c’est mieux ainsi. »
Mais à force de travailler son jeu, de développer sa technique au poste, le numéro 99 des Lakers a bel et bien montré qu’il était possible de jouer alors que des lunettes jouent en votre défaveur au prime abord. D’ailleurs, comment s’entraînait monsieur George Mikan ?
« A l’école, mon coach me disait de danser avec les plus petites filles durant les bals. Selon lui ça pouvait m’aider à développer mon jeu de jambes et à être plus prudent sinon je leur marchais dessus et je leur faisais mal. »
Disparu en 2005 à l’âge de 80 ans, George Mikan est désormais comme un bon vieux livre d’histoire. Il s’est transmis de générations en générations, on a tendance à l’oublier et on le laisse prendre la poussière alors que le temps met son empreinte dessus, mais à chaque fois qu’on ouvre le livre, les belles histoires sont au rendez-vous. C’est cependant grâce à lui que ce magnifique sport qu’est le basketball est ce qu’il est aujourd’hui. Raison de plus pour ne jamais oublier un des plus grands, mais le surtout la première légende de ce sport.
Sources : Archives NBA, Complex, Basketball Original Dynasty : the History of the Lakers (Stew Thornley), BasketRetro, SlamOnLine, Sports Illustrated, BasketballReference