Par Elsa Girard-Basset | Journaliste web
Modèle de panache, de caractère et de ténacité, Bernard Hinault s’est adjugé de nombreuses victoires durant son illustre carrière. Mais peu sont plus impressionnantes que celle acquise lors du Liège-Bastogne-Liège de 1980, dans un décor d’enfer et un froid polaire. Tant et si bien que le « Blaireau » a dû aller jusqu’à l’impensable pour rester chaud…
Certaines courses sont entrées dans la légende pour des duels entre coureurs, d’autres encore pour des sprints endiablés ou des échappées vertigineuses. Mais dans le cas du Liège-Bastogne-Liège de 1980, pourtant couru un 24 avril, c’est la météo qui a décidé de s’en mêler. Ce jour-là, il règne un froid polaire sur la Belgique, agrémenté d’une neige battante.
Toute la journée, les coureurs des 15 équipes engagées luttent contre l’enfer. Sur les 174 vaillants qui ont pris le départ, seuls 21 franchiront la ligne d’arrivée. Une hécatombe. Parmi ces chanceux, évidemment, un certain Bernard Hinault. Après plus de 7 heures de supplice, le Breton a empoché l’un des succès les plus prestigieux de sa carrière, avec une dizaine de minutes d’avance sur le second.
Mais même pour le « Blaireau », tout n’a pas été de tout repos. Le natif d’Yffiniac flirte plusieurs fois avec la limite, pétrifié par le froid ambiant. Lorsqu’il franchit la ligne d’arrivée, il s’adresse directement aux photographes et journalistes qui l’assaillent :
Ne me touchez pas, ne me touchez pas !
Dans l’enfer, Bernard Hinault prêt à tout pour se réchauffer
Il faut dire que pour voir le bout de sa course, Hinault a commis l’impensable. Alain Landrain, photographe pour L’Équipe, racontait ainsi il y a quelques années cette anecdote qui a de quoi laisser bouche bée :
J’ai le souvenir de grands bouts droits dans la forêt ardennaise, elle me faisait penser à la forêt landaise, avec la neige en plus. Une image m’est restée en tête – bien sûr je n’ai pas fait de photos : le « Blaireau » et d’autres s’étaient pissés sur les doigts pour se réchauffer. Cela m’avait impressionné. Les conditions étaient insupportables pour les coureurs. On les admirait.
Après 84 kilomètres d’échappée dans cette torpeur, le « Blaireau » n’arrive pas indemne. En dépit de sa pause-pipi improvisée, ses doigts sont engourdis. Il mettra des semaines à retrouver le plein usage de l’un d’eux, tandis qu’un autre de ses doigts ne s’en remettra jamais. Le titrage de L’Équipe du lendemain ne s’y trompe pas :
Hinault au bout de l’apocalypse.
45 ans plus tard, ce fameux Liège-Bastogne-Liège reste ancré dans la légende de Bernard Hinault, et à juste titre : entre l’intelligence de course, le talent, la résilience, le panache et le jusqu’au-boutisme, le Breton a démontré toutes ses qualités ou presque lors de cet après-midi en enfer. Un moment inoubliable.