Par Elsa Girard-Basset | Journaliste web
Cheffe cuisinière de renom et pionnière pour les femmes dans la gastronomie, Hélène Darroze est aujourd’hui une figure aussi appréciée que respectée du grand public. Mais avant d’atteindre les sommets, la Landaise a dû surmonter bon nombre de commentaires et comportements machistes, dont certains en provenance d’une légende du métier en la personne de Paul Bocuse. Explications.
À la tête de nombreux établissements renommés, Hélène Darroze s’est imposée comme un nom incontournable de la gastronomie française. Mieux, elle a même été élue « meilleure cheffe du monde » par le réputé classement « 50 Best » en 2015. De quoi situer la réussite de cette travailleuse certes née dans une famille de restaurateurs, mais qui a dû lutter pour parvenir au sommet de la pyramide. Et plus encore en raison de sa condition de femme.
Les excuses de Paul Bocuse à Hélène Darroze après ses propos
Il faut dire que pendant longtemps, il a été considéré que les seuls les hommes pouvaient faire de grands chefs cuisiniers. L’opposition simpliste alors de mise était la suivante : les femmes étaient les cuisinières du domicile, celles qui préparaient la nourriture du quotidien, tandis que les hommes, plus raffinés et plus doués, s’occupaient des grandes tables. Une conception qui a fort heureusement largement volé en éclats depuis.
Dans le métier, les femmes n’ont toutefois pas oublié que l’ancienne génération a très longtemps arboré cette vision machiste de la cuisine. D’ailleurs, lors d’une interview donnée en 2004, Hélène Darroze avait pris en pleine face les propos du grand Paul Bocuse, chef trois étoiles d’exception, et véritable fierté pour tous les Lyonnais amoureux de leur terre et de leur histoire. Mais la jeune femme, maline, avait su diffuser habilement la situation :
Journaliste : « J’ai noté des propos pas très sympas de Paul Bocuse, qui avait dit que si les femmes n’avaient pas de place en cuisine, c’est parce qu’elles n’étaient pas très imaginatives et qu’elles faisaient la cuisine de leur mère ».
Hélène Darroze : « Ah bon ? Je ne me souviens pas de ça, parce qu’au contraire, monsieur Bocuse nous encourage énormément ».
Devant son poste de télévision, celui qui a fait ses gammes chez la mythique Mère Brazier a apprécié la réponse « bouclier » d’Hélène Darroze. Au point de lui adresser un mot touchant, dans lequel il a fait amende honorable et reconnu sa bévue. Tout récemment, la cheffe a ainsi confié à l’INA :
Deux, trois jours après je reçois un mot de Paul Bocuse qui me dit : « Tu vois Hélène, j’ai été assez con pour dire ça, et la manière dont tu as rattrapé le truc… Je t’en remercie ». Ça m’avait beaucoup touchée que monsieur Bocuse lui-même m’envoie ce petit mot.
Par ailleurs, dans cette même interview de 2004, Hélène Darroze avait de nouveau été confrontée au sexisme lorsque le journaliste lui avait demandé si sa cuisine était « aussi imaginative que celle des grands chefs, ou plus proche de la cuisine de grand-mère ». De quoi lui inspirer une réponse agacée mais lucide 20 ans plus tard :
C’est très macho ça… Mais il y a aussi un fond de vérité. Je m‘appuie sur la cuisine de mes grands-mères et j’en suis fière. Si ça se voit dans l’assiette, tant mieux.
Le machisme et le sexisme ont longtemps été institutionnalisés dans le monde de la gastronomie, et il a fallu des personnalités comme Hélène Darroze pour tordre le cou à ces clichés. Paul Bocuse, lui, a eu la grandeur d’esprit de reconnaître son erreur après ses propos douteux, et de ne pas se dérober au moment de s’en excuser. Le signe d’un homme droit, qui reste et restera un monument de son art.