Eté 1997. Battus par Chicago en finale NBA, Karl Malone et John Stockton signent aux Bulls. Ils y rejoignent bien sûr Michael Jordan et Scottie Pippen, mais aussi Hakeem Olajuwon, arrivé en 1995, et Charles Barkley, venu renforcer les rangs des taureaux l’année précédente. Dans la ligue, il se murmure que Reggie Miller pourrait lui aussi délaisser l’Indiana pour l’Illinois. Les Bulls en sont à 7 titres de suite, et rien ne peut les arrêter. La presse parle déjà d’une decima de bagues.
Cette fiction aurait bien pu devenir réalité dans les années 90, si la ligue avait succombé à la mentalité de nos années 2010. Alors oui, la NBA ne s’est jamais aussi bien portée financièrement. Il y a du show, des jeunes talents excitants, des storylines, des actions spectaculaires. Mais y a-t-il encore ce qui est sûrement le plus important : une âme ?
Cette ère interroge. Quand Stephen Curry ne se couche pas par terre en plein All-Star Game face à son adversaire, les plus grandes stars de la ligue essaient de s’attirer pour se rejoindre dans la même équipe et jouer ensemble. Il y a 2 ans, Kevin Durant s’est établi en Californie en quête de bagues. Sans surprise, il les a obtenues. Mais au moment de soulever le Larry O’Brien Trophy (et le titre de MVP avec), KD était en contrôle. Heureux, oui. Pas extatique. Loin des larmes de Michael Jordan en 1991 après avoir amené sa franchise de toujours au sommet. Plus grand est le mérite, plus dur est le parcours, plus forte est l’émotion. Normal, certes, mais pas forcément recherché par les joueurs actuels. Cet été, c’est DeMarcus Cousins, l’un des meilleurs intérieurs du monde, qui n’hésite pas à se brader (il touchera à peine plus de 5 millions de dollars la saison prochaine) pour s’assurer ou presque une bague. Et tant pis pour la perspective de cimenter sa legacy dans un projet qui a laissé entrevoir de superbes choses à New Orleans…
Qu’elle semble loin, l’époque où l’objectif suprême des franchise players était de battre les autres top stars, et non pas de s’associer à elles. La NBA qu’on aime, c’est du spectacle, des émotions, mais aussi des repères affectifs, émotionnels. Des joueurs associés à un maillot, à une communauté, qui font évoluer une histoire entre eux et la franchise dans les difficultés, les tourments, les joies, les larmes. Parfois, les tentatives restent vaines. Reggie Miller s’est retiré l’homme d’une franchise, les Pacers, sans jamais atteindre le graal. Mais sa finale de conférence Est 1998, où lui et ses coéquipiers ont poussé les grands Bulls à un match 7 qui leur a laissé craindre la fin de la dynastie, n’a-t-elle pas plus de valeur qu’un titre gagné d’avance ?
Car c’est maintenant bien la question qui va se poser et qu’il ne va pas falloir éluder. Celle d’un titre gagné d’avance. Comment imaginer que les Warriors, qui restent sur 3 trophées sur les 4 dernières saisons, tous remportés largement, puissent s’incliner l’an prochain ? Qui peut croire qu’un 5 majeur Curry-Thompson-Durant-Green-Cousins peut être vaincu dans cette ligue ? Bien sûr, on va se persuader, bien sûr, on va suivre la saison et se dire à la moindre difficulté rencontrée par les Warriors qu’ils pourront être vaincus. Mais la réalité nous rattrapera, et presque inévitablement, Golden State sera champion.
Même pour les fans des Dubs, contredisez-nous si on se trompe, l’émotion est-elle si forte ? Prend-on autant de plaisir à suivre un film quand on en connait déjà la fin ? Ce n’est évidemment pas de votre faute, et il n’est pas question d’incriminer la franchise de Golden State, qui profite simplement d’un système, mais cette NBA donne plus que jamais l’impression d’être scindée en deux catégories totalement inégales : 4 ou 5 équipes dominantes, les Warriors étant forcément au-dessus, et 25-26 équipes réduites à faire de la figuration. Les joueurs eux-mêmes n’y croient plus, et expriment clairement leur désarroi voire leur ironie face à la situation. Drôle d’époque, avouons-le.
Bref, la NBA ne tourne plus vraiment rond. Elle a sûrement trop oublié les valeurs de compétition, de fierté, de loyauté qui ont longtemps été dans son ADN. En partant à Miami en 2010, LeBron James a ouvert la boite de Pandore, dans des proportions que lui-même n’avait pas dû imaginer. Le King a décomplexé toute une génération pour qui la camaraderie et les bagues passent avant l’honneur ou le goût de la compétition, la vraie, féroce. N’y voyez là aucun jugement – après tout, nous direz-vous, le but ultime du sport est de gagner. Mais ne soyons pas dupes : il y a des manières de le faire.
Un grand homme disait : « To be the man, you gotta beat the man ». Cette ère est désormais révolue. Place au « to be the man, you gotta join the man ». Pour le meilleur, et malheureusement aussi pour le pire.