Par Elsa Girard-Basset | Journaliste web
Citoyen du monde par excellence, Yannick Noah a toujours fait une force de sa double origine franco-camerounaise. Au fil des années, l’ex-tennisman a très souvent évoqué son rapport à l’Afrique, quitte à parfois surprendre dans certaines de ses lectures et analyses, lui qui reste marqué par une jeunesse difficile. La preuve dans un entretien pour « Marie-Claire », où le sexagénaire s’était livré à coeur ouvert.
Il est le dernier tricolore à avoir remporté Roland-Garros à ce jour, et pour cela, il restera toujours une légende et un héros aux yeux de l’opinion publique française. Yannick Noah le sait, il en est reconnaissant, mais aujourd’hui, ce n’est plus forcément cela qui l’habite. Désireux de se rapprocher de la terre de ses ancêtres, il est devenu ces dernières années chef du village de feu son grand-père au Cameroun. Un projet qui est venu concrétiser de grands questionnements chez lui.
Yannick Noah évoque sa vision des Africains
Interrogé par le magazine « Marie-Claire », qui lui avait notamment demandé « ce qu’il y a de camerounais » chez lui, Noah s’était en effet livré il y a quelques années à une réponse étonnante dans laquelle il avait étayé sa perception des Africains, et plus particulièrement des Noirs africains.
Pour lui, et en dépit de l’époque qui prône l’émancipation et un certain positivisme, impossible d’échapper à un prisme indissociable de douleur et de misère :
Je me sens Camerounais quand j’arrive au Cameroun. Je suis protégé par la terre, les odeurs. Enfin, c’est plutôt mon enfance que je retrouve là… Je pense que l’Africain, le Camerounais, le Noir en général, c’est celui qui se prend les coups. Les Noirs, ce sont ceux qui se sont faits coloniser, ce sont les pauvres.
Quand je vois un sans-papiers, j’ai l’impression d’être un sans-papiers. Je m’occupe d’associations, de milliers de gamins. Je suis toujours du côté de celui qui morfle. Ça me fait mal. Je ne peux pas m’en détacher. Je ne sais pas pourquoi. Allô, Sigmund ?
Conscient lui-même que cette association instantanée entre l’Africain et la misère pourrait susciter une introspection personnelle, comme son clin d’oeil à Freud le sous-entend, Noah trouve des explications dans son enfance.
Marqué par le racisme qu’il a subi et par sa condition d’immigré dans un milieu où il était le seul à son arrivée en France à l’âge de 11 ans, il a en effet vécu des choses difficiles dont il est dur de se défaire :
J’étais d’une timidité maladive. Quand je suis arrivé en France, j’étais le seul métis de tout le bahut. Je suis devenu le canard noir. Sans méchanceté : c’était juste une situation. Mes parents m’envoyaient là par amour, ils savaient que j’étais passionné. Je voulais être le meilleur. Je me disais : « Un jour je vais être tellement fort que le monde va venir à moi ».
Je ne pouvais pas dire bonjour à une fille … Pendant trois ans j’ai tourné autour d’une, mais je n’arrivais même pas à l’approcher. Je pensais que si j’étais champion on allait m’aimer. C’était de la survie. Aujourd’hui les gens viennent me parler. Mais je ne suis vraiment pas le genre à faire le premier pas.
Marqué par son passé, par certaines remarques et par certains comportements subis étant jeune, Yannick Noah peine à voir les peuples noirs d’Afrique autrement que dans une certaine douleur, voire même une certaine soumission. C’est donc à la fois pour aider les siens, mais aussi peut-être inconsciemment pour se guérir lui, que l’ancienne star du tennis attache tant d’importance à son rôle de chef de village au Cameroun.