Par Elsa Girard-Basset | Journaliste web
Directeur du développement du football à la FIFA depuis 2019, Arsène Wenger a aussi et surtout été l’un des entraîneurs les plus emblématiques des 40 dernières années. Mais bien loin des terrains, le septuagénaire est aussi une personnalité intelligente, réfléchie et disposant d’une grande conscience sur le monde. Un reste issu d’une enfance délicate.
Son nom ne trompe pas : Arsène Wenger est un Alsacien pur et dur. C’est en effet dans ce territoire qu’a grandi le jeune garçon, lui qui passait le plus clair de son temps soit à jouer au foot, soit dans le bistro tenu par ses parents. Des moments fondateurs pour lui, comme il l’avait expliqué dans un entretien passionnant pour « So Foot » :
J’ai grandi pour l’essentiel dans le bistro de mes parents. Quand tu es gamin, tu écoutes les autres, les adultes. Tu n’as pas droit à la parole. Tu as 9-10 ans, les gens parlent : « Lui, il est mauvais, celui-là, il est con, c’est un menteur. ». Tu écoutes et tu essaies de comprendre pourquoi. C’était un bon champ d’observation psychologique et de la vie sociale, un condensé de comédie humaine avec tous ses excès, avec le foot en toile de fond.
Arsène Wenger évoque la haine anti-allemande dans son enfance
L’enfance de Wenger, ce sont aussi certaines blessures qu’il n’aborde que rarement. Son père, par exemple, enrôle contre son gré dans l’armée allemande pour combattre sur le front russe, comme beaucoup d’Alsaciens. Alphonse, c’est son prénom, est revenu marqué à vie, pesant à peine plus de 40kg, entre la vie et la mort pendant un an.
De cette période est évidemment né un très fort ressenti allemand en Alsace, allant même jusqu’à la haine. Arsène Wenger ne le nie pas, certes, mais précise toutefois que ces discours n’ont eu aucune prise sur lui :
Oui, surtout par chez nous. Il était interdit de parler alsacien pendant les récréations à l’école primaire parce que ça ressemblait à l’allemand… On nous forçait à parler français tout le temps. On était élevés dans la haine des Allemands, mais elle ne m’a pas affecté du tout. Je n’ai pas contracté le virus… (sourire).
Au contraire, et dans un pied-de-nez finalement logique pour ce grand humaniste, pour qui la fierté nationale doit se limiter au carré vert, c’est à travers le football allemand que Wenger a connu ses premiers émois :
Le Borussia Mönchengladbach de Netzer, Simonsen, Berti Vogts… C’était un football dynamique, très rapide, un jeu de transition, de dépense physique aussi. À l’époque, les formations allemandes pratiquaient encore le marquage individuel, avec de grandes courses, il y avait beaucoup d’espaces qui s’ouvraient, c’était spectaculaire à voir.
Toute l’Alsace vivait à l’heure de l’émission de sport du samedi à 17h45 On ne la loupait pas. J’aimais la confrontation des deux styles : le Bayern et son jeu de possession déjà à ce moment-là avec Beckenbauer, Müller, Breitner, Hoeness, et le Borussia et son football de contre-attaques ultra-rapides. J’étais milieu de terrain, je n’en perdais pas une miette.
Territoire complexe marqué par les guerres passées, l’Alsace a longtemps été nourrie d’un fort sentiment de rejet, voire même de haine, vis-à-vis des Allemands. Arsène Wenger est en revanche passé entre les mailles du filet, pour devenir l’un des apôtres de la tolérance et de la beauté du football sur et en dehors des terrains. Un bien beau parcours.