Par Elsa Girard-Basset | Journaliste web
Si Louis de Funès a pu compter sur des amis fidèles autour de lui, à l’image de Michel Galabru, Guy Grosso et Michel Modo, sa relation avec Jean Lefebvre s’est avérée très orageuse et délicate. Mais alors que les deux hommes étaient sèchement brouillés, Lefebvre a croisé la route du monstre sacré du cinéma dans un cocktail bien des années plus tard. Il et a décidé d’agir.
Dans la fameuse série des « Gendarmes », qui a bercé plusieurs générations, ces deux-là ne s’aiment pas. Ces deux-là, ce sont le maréchal des logis chef Cruchot, incarné par Louis de Funès, et le gendarme Fougasse, joué par Jean Lefebvre. Mais là où la situation est problématique, c’est que cette inimitié existait également entre les deux acteurs dans la vraie vie. Et pas qu’un peu.
Déjà échaudé par le professionnalisme parfois hasardeux de Lefebvre, qui écumait les casinos de la région et ne connaissait pas toujours son texte le matin venu, De Funès a été ulcéré des attaques publiques en provenance de son homologue après « Le gendarme se marie », sorti en 1968. Lefebvre reprochait alors à « Fufu » d’avoir fait couper certaines de ses scènes dans son dos, ce qui avait poussé le réalisateur Jean Girault à qualifier son second rôle de « médiocre » et « figurant le mieux payé du monde ».
Après l’embrouille, la mise au point entre Jean Lefebvre et Louis de Funès
Dans son autobiographie « Pourquoi ça n’arrive qu’à moi ? », Lefebvre est évidemment revenu sur cet épisode, mais y a aussi et surtout ajouté le récit de la seule fois où il a recroisé la route de Louis de Funès. Avec la ferme intention de ne pas laisser passer sa chance :
Je n’ai revu de Funès qu’une fois, des années plus tard, dans un cocktail. Il était là, avec sa femme, et il m’observait de loin, sans rien dire. Je suis allé vers lui et je l’ai obligé à me saluer. Sa femme, elle, a refusé de me tendre la main. Alors j’ai forcé l’explication, car il me semblait qu’il fallait régler ce problème une fois pour toutes.
Cette initiative téméraire a été couronnée de succès à en croire le principal intéressé, qui, d’après lui, aurait fait admettre son tort à De Funès :
Je lui ai dit : « Écoute, Louis, lorsque je t’ai attaqué publiquement, j’étais fou de colère. Je commençais à avoir un petit nom et en me supprimant arbitrairement mes scènes, tu m’as fait du tort. Il me semble que la moindre des choses aurait été de m’en avertir, d’avoir le courage de me prévenir ». […] De Funès a gardé le silence pendant quelques instants, puis il s’est levé : « Tu as raison ».
Lefebvre ne nie toutefois pas qu’il a pu être difficile sur certains plateaux de tournage, et ce n’est pas Robert Lamoureux qui dira le contraire. Le réalisateur des trois opus de la « 7ème compagnie » se souvient encore du comportement douteux de son acteur, comme le racontait Henri Guybet, alias Tassin, dans une interview accordée à « Télé-Loisirs » en 2020 :
Jean avait une passion illimitée pour une maîtresse qui vous coûte une fortune : le jeu. Dès qu’il trouvait un casino, il y passait la nuit. Les casinos, ça ferme à 4 heures du matin. Aller se coucher à 4 heures quand il faut se lever à 9 heures, la nuit est courte ! (rires) Vous ne savez pas toujours votre texte ! Cela énervait beaucoup Robert Lamoureux, qui lui passait un savon. Mais Jean, ça lui passait au-dessus, il laissait passer l’orage…
Si Louis de Funès et Jean Lefebvre n’ont jamais été amis, loin de là, l’interprète de Fougasse peut au moins avoir la satisfaction d’avoir obtenu une forme d’excuse de la part de la star. Une maigre consolation pour celui qui aspirait certes à mieux dans sa carrière, mais qui n’a pas toujours été capable de mettre toutes les chances de son côté en termes d’éthique de travail…