Par Elsa Girard-Basset | Journaliste web
Monstres sacrés du cinéma français, Bourvil et Jean Gabin n’ont tourné qu’une seule fois ensemble. Ils se sont toutefois assurés de faire ce film, « La traversée de Paris », l’un des chefs-d’oeuvre de l’histoire du septième art dans l’Hexagone. Mais si leur duo fonctionne à l’écran, qu’en était-il dans la vraie vie ? Un an après le tournage, Bourvil livrait sa vérité avec honnêteté et tendresse.
Quand on évoque les classiques du grand écran en France, difficile de ne pas penser à « La traversée de Paris ». Tourné seulement 11 ans après la fin de la guerre, le long-métrage s’attaque à la délicate période de la collaboration, en démontrant une froide réalité bien loin du récit national et de l’héroïsme général parfois mis en avant. Et pour incarner Grandgil et Martin, personne n’aurait pu faire mieux que Jean Gabin et Bourvil.
À l’époque, le premier nommé est déjà un monument du cinéma français. S’il a connu une période délicate après-guerre, il est connu et reconnu pour ses rôles cultes, son charisme, et sa capacité à tout jouer ou presque. Bourvil, lui, est en pleine ascension. Mais au lieu de faire sentir cette différence de statut, Gabin va se montrer d’une grande classe envers son partenaire de jeu.
La grande admiration de Bourvil pour Jean Gabin
Dans une interview auprès de l’INA en 1957, soit un an après le film, Bourvil évoquait le trophée de meilleur acteur remporté à la Mostra de Venise suite à sa performance. À l’intérieur de la coupe ? Une photo de Gabin, comme pour l’associer à ce succès. Avec sa facétie habituelle, André Raimbourg (son vrai nom, ndlr) a ensuite expliqué :
Je vais vous parler d’un nouveau dans le cinéma, qui, je crois, réussira. Il s’appelle Jean Gabin. Il est dans mon coeur et dans ma coupe en même temps. Il a un physique intéressant, hein ? Retenez-bien ce nom. Je me permets de faire cette plaisanterie parce que je sais que Jean regarde la télévision, alors peut-être que ça va le faire rire.
Plus sérieusement, Bourvil a ensuite livré une anecdote qui l’a profondément touché :
Je ne vous ai pas parlé de Gabin pour vous dire toutes ces bêtises mais pour vous raconter une chose sympathique. L’année dernière, quand Claude Autant-Lara préparait son film, il m’avait contacté pour le rôle de Martin. J’étais heureux, je me disais : « Pourvu que ça marche, pourvu que tout le monde veuille bien de moi ».
Il était allé trouver Gabin, et lui avait dit : « Pour ‘La traversée de Paris’, nous avons pensé à Bourvil ». Et Gabin a répondu immédiatement : « Si j’ai Bourvil pour jouer avec moi, je signe tout de suite ». C’était gentil, ça. Et comme je n’étais pas là ce jour-là pour lui dire merci, je le fais aujourd’hui.
Pas franchement du genre à se forcer à faire des compliments, Gabin, pourtant si différent de Bourvil, vouait un profond respect à sa personne et à sa qualité d’acteur. L’attention qu’il a eue à l’égard de son cadet a en tout cas bouleversé le sensible interprète de Martin, qui a toujours voué une profonde admiration à Gabin, au point d’avoir peur de tourner avec lui avant les premières scènes. Des craintes vite dissipées.
S’il a eu des relations conflictuelles avec Louis de Funès lors de leurs tournages communs, Jean Gabin n’avait en revanche que de l’estime et de l’amitié pour Bourvil. Une preuve de plus que l’acteur, arraché bien trop tôt à la vie par la maladie, était l’un des rares « vrais gentils » du métier, apprécié de tous. Une perle rare, en somme.