En octobre dernier, Marcus Smart se distinguait en frappant J.R. Smith, ce qui lui valait une exclusion. L’occasion de revenir sur la vie d’un joueur pas comme les autres, dont le comportement prend racine dans une enfance entre tragédies et violences.
Marcus Smart n’a pas toujours été ce pitbull, prêt à en découdre à chaque instant au péril de sa santé. Il a même été un enfant plutôt normal, avec – déjà – un grand sens de la loyauté et de la famille. En décembre 2003, quand sa mère lui demande ce qu’il veut pour Noël, le garçon de 9 ans répond simplement : « Rien. Je remercie juste Dieu de pouvoir passer les fêtes avec ma famille ». Et quand elle lui fait remarquer que ses chaussures sont trouées et bonnes pour la poubelle, proposant de lui acheter des Nike pour les remplacer, le garçon hausse les épaules. Peu lui importe.
Mais quelques mois plus tard, le premier tournant de la vie de Marcus Smart a lieu. Le gamin n’a même pas 10 ans. Il joue dehors avec son cousin, quand sa tante le rappelle avec une mauvaise nouvelle à annoncer : son frère Todd, après des années de combat contre la leucémie, allait déposer les armes. A l’annonce de la nouvelle, Smart quitte la pièce en furie, faisant claquer la porte si fort que la vitre explose. Il court dans la rue, sans trop savoir où, en hurlant, jusqu’à que son cousin le maitrise. Marcus arrive à l’hôpital trop tard pour dire au revoir à son frère : Todd est mort. Le petit s’approche du lit, et touche le pied de son frère : « C’était froid comme de la glace », se souvient-il. Smart ne sera plus jamais le même.
En parallèle, Smart voit son frère Michael filer du mauvais coton. Âgé de 19 ans et talentueux joueur de basket, le frangin de l’actuel joueur de Boston se laisse attirer par la vie de gang. Il se met à dealer, consomme lui-même des drogues, et achète 5 armes à feu différentes pour se protéger. Marcus est dépité par le choix de vie de son frère. Parfois, après avoir attendu jusqu’au milieu de la nuit pour que son frère rentre, il lui fait la leçon :
« Maman n’a pas besoin qu’on l’appelle à 2h du matin pour lui dire qu’on t’a trouvé en prison ou six pieds sous terre. Elle a déjà perdu un fils. Ne te mets pas dans la merde »
Et pourtant… Quelques mois seulement après la mort de Todd, Marcus apprend à nouveau qu’un de ses frères est à l’hôpital. Michael avait consommé tant de cocaïne qu’il avait lourdement chuté. Son oncle Gary, paraplégique après s’être fait tirer dessus dans un carjacking quelques années avant, avait réussi à sortir de sa chaise roulante pour le réanimer avant l’arrivée des secours. Et une nouvelle fois, Marcus se retrouve dans un long couloir d’hôpital, prêt à trouver, peut-être, un nouveau pied glacial face à lui. Par chance, Michael survit. Le médecin n’y va pas par quatre chemins pour lui remettre les idées en place :
« Je fais ça pour sauver des vies. Si tu veux t’infliger ce genre de trucs, ne viens pas ici. Tue-toi juste »
Michael sort des méandres de l’addiction – il n’a plus jamais touché à la blanche de sa vie, et il prévient les membres des gangs : on ne touche pas à Marcus. Le grand frère, conscient de son erreur, implore le petit Marcus de ne pas suivre le même chemin :
« Sois différent. Je te jure, dans 6 ans, quand tu te retourneras, tu verras qui est celui qui a réussi »
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Malheureusement, Marcus a trop vécu de choses pour être un garçon normal. Après tout ça, il avoue se sentir « perdu » et « changé ». Alors il devient une petite frappe, puis un caïd. Il commence en volant des bonbons ou des boissons dans les magasins. Mais toute la rage en lui s’expulse à travers la bagarre. Adolescent, il n’est pas rare pour Marcus de se battre 3 à 4 fois par semaine. Les armes ne l’effraient pas. Une fois, il explose la tête d’un jeune sur le bitume. Une autre, il lance des couteaux.
« J’aurais pu tuer quelqu’un. C’était comme si j’avais un bras cassé et que je voulais juste hurler. La pire douleur que tu puisses imaginer, c’était ce que je ressentais. Et pour expulser cette colère, tout ce que je savais faire, c’était me battre. Je ne savais pas l’exprimer autrement »
Un jour, lui et un ami se retrouvent en sous-nombre face à une bande. Marcus sort un couteau. Ils sortent un pistolet. De retour chez lui, il fouille et récupère l’arme de son père. Michael le bloque à la porte pour l’empêcher de commettre l’irréparable.
Cette vie va mener Smart aux portes de la mort, et enfin le faire changer. Un soir, lui et son ami « s’amusent » à jeter des cailloux sur les passants depuis le deuxième étage d’un immeuble. Pas de chance : une de leurs victimes est un membre des Bloods, un des gangs les plus sérieux du quartier. L’homme ne plaisante pas : sitôt touché, il repère Marcus et son ami, sort un pistolet, et menace de les tuer. Ils prennent la fuite et une course-poursuite s’engage. Pendant celle-ci, 4 coups de feu sont tirés. Remplis d’adrénaline, les deux jeunes prennent un raccourci et passent dans un coin qu’ils connaissent, où ils savent qu’il faut éviter une grosse branche pour passer. Eux le font, leur poursuivant s’éclate dedans et chute. Smart rentre chez lui et ne ferme pas l’œil de la nuit. Il ne prévient pas son frère – qui connaissait l’homme – de peur qu’il décide de le tuer.
Cet épisode marque un tournant pour Smart. Il se confie à sa mère, qui lui apporte son soutien, et suit des cours pour calmer son surplus de colère. Surtout, sa famille déménage dans un quartier plus tranquille. Marcus met du temps à s’y habituer. Au début, quand il se ballade la nuit, il est sur ses gardes dès qu’il croise quelqu’un. « Ce n’est qu’un homme qui promène son chien », lui dit-on. Sur le long terme, l’effet est probant et la mère du garçon s’en félicite :
« C’était comme une renaissance. Comme sortir du noir pour aller dans la lumière »
Cette lumière mènera Marcus Smart à la NBA. Et sa mère, décédée en septembre 2018 et pour qui le Celtic a rendu un vibrant hommage, aura eu le temps de voir son rejeton atteindre son rêve. Michael explique :
« Dieu m’a mis sur cette terre pour une raison, et je crois que cette raison, c’est Marcus. Il a réussi ce que ma mère voulait pour chacun d’entre nous : réussir. Il nous donne de l’espoir. Tu vois Marcus, tout est là. Il a tout. Quand Maman regardait Marcus, ça illuminait sa journée »
Marcus Smart a bien changé, et s’il garde ce côté agressif et pitbull qui en fait l’un des coéquipiers les plus appréciés de la ligue (« c’est comme se battre avec Hulk à ses côtés », résume un coach de ses jeunes années), l’arrière de Boston a beaucoup mûri :
« Je ne veux pas que les gens me voient et disent que je suis un c*nnard. Je vois qu’ils me voient et qu’ils disent que je suis la meilleure personne qu’ils aient rencontrée de leur vie. Je ne veux pas entendre de choses négatives sur moi. Ca me donne une mauvaise image et ça me fait du mal. Et ça fait du mal à ma famille. Je suis un miroir de ma mère, mes frères et toute ma famille. La manière dont je me comporte est le reflet de l’éducation qu’ils m’ont donné. Et ça, je l’ai appris »
Vous connaissez désormais un peu mieux Marcus Smart, homme atypique qui fait forcément naitre des sentiments contradictoires. Heureusement, en tous cas, que le basket a été là pour lui. Et heureusement qu’il peut profiter du succès dont il bénéficie. Car quoiqu’il ait fait, il le mérite.
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