Il y a trois semaines, après une fin de saison mouvementée, Sandrine Gruda a accepté de prendre un moment pour nous rencontrer et répondre à nos questions. Découvrez notre entretien avec celle qui est déjà une des légendes de notre basket national.
Parlons Basket : Bonjour Sandrine, comment ça va ?
Sandrine Gruda : Ça va bien, merci !
PB : Tu viens de terminer ta 13e saison professionnelle. Quel est ton ressenti après cette fin de saison mouvementée ?
SG : Tout d’abord, j’ai fait 13 belles saisons de basket. Honnêtement, si il fallait que je m’arrête là, je serais très fière de mon parcours. Après oui, ce fut effectivement une fin de saison assez tristounette puisqu’on perd le Final Four à Sopron, puis les finales du championnat turc. C’est un fin que je n’avais pas vraiment anticipée, donc ça ne me convient pas. Mais c’est la réalité. Je suis maintenant tournée vers l’été avec l’équipe de France, et vers l’année prochaine.
PB : Cette saison tu a évolué dans deux clubs (L’ASVEL et Yaki Dogu). Y’a t’il un endroit où tu as préféré jouer ?
C’était différent. Lyon j’ai énormément apprécié car déjà c’était un retour en France, dans une grande ville, et j’ai en plus participé à un projet qui avait du sens. Le projet de Tony Parker, de récupérer un club, le porter jusqu’au au plus haut niveau… Tout cela avait du sens pour moi. Nous souvent, les professionnels, on embarque dans des bateaux déjà en mer, mais c’est rare quand on démarre le projet. Là, j’en ai eu l’opportunité et ça m’a intéressé. De pouvoir accompagner, être présente dès le début, guider la barque dans la bonne direction pour ensuite décoller ! Lorsque Tony me l’a présenté, ce projet m’a tout de suite plu et j’ai dit oui.
Et puis derrière, effectivement, Yakin Dogu. C’était un peu similaire, un club assez récent, seulement 3 saisons en ligue féminine, dont une (l’année dernière) où ils raflent tout en Turquie et gagnent même l’Eurocup. Quand je signe là-bas, je me dis que je rejoins une équipe jeune et qui a besoin de s’affirmer plus encore au haut niveau. Tout est nouveau pour tout le monde, avec la première participation à l’Euroleague notamment, et je me dis que je veux voir un peu comment ça se passe. Je quitte un projet récent pour rejoindre un projet récent également, et j’ai envie de voir ce que ça donne.
PB : Après une belle saison, le Final Four arrive et ton équipe entrevoit la finale et une éventuelle victoire. Et puis une défaite en demi-finale douche ces espoirs. C’est une grosse déception ?
Une grosse déception, oui. Non seulement car j’avais des attentes, mais en plus de ça on passe totalement à côté.
PB : Quelques temps après, tu disputes la finale du championnat. Une finale bien disputée, en 4 matchs, mais une défaite à nouveau. Qu’est ce qu’il s’est passé ?
En fait, c’est le Final Four. Toute l’équipe était encore atteinte. Ça a plombé l’ambiance, ça a plombé le moral de tout le monde, et du coup c’était très compliqué pour se remobiliser. C’était vraiment dur. Et en plus ça se voit ! Déjà trois jours après le Final Four tu enchaînes avec les 1/4 du championnat, t’as pas le temps de souffler ni rien, et en plus on vient quand même de prendre deux raclées. On rentre en Turquie et il faut être dedans tout de suite. Tu ne peux dire « bon coach je prend des congés, là ça va pas ! » (rires). Il faut chausser tes baskets et jouer, c’est tout.
Donc voilà, on affronte Galatasaray en 1/4, ça se passe bien. Ensuite en 1/2, on est face à Curukova et on galère… On galère vraiment. On s’en sort, on rentre avec la victoire, mais c’était difficile, très difficile. On avait plus de force. Et puis la finale… Voilà, la fin de notre saison a vraiment été très impactée par nos deux défaites au Final Four, c’est certain.
PB : Après ces deux désillusions, une autre mauvais nouvelle arrive, puisque le club ferme. Toi et les autres joueuses, vous étiez au courant de cette décision ? Comment ça s’est passé ?
Oui, on nous l’a appris. On a eu une réunion et on nous l’a annoncé. C’était une grosse surprise pour tout le monde. C’est là où je me rends compte comme la fermeture d’un club impacte énormément les personnes qui travaillent autour. Ça m’a vraiment fait réaliser qu’il faut encore plus considérer le travail qu’ils font. J’ai vu celui qui s’occupe des vêtements en larmes, et là je me suis dis : « pu***, ce mec n’a plus de boulot ». C’était un intendant, qui bosse là dedans depuis un moment, et il se retrouve sans rien. Comme nous, beaucoup de personnes sont venues car elles ont cru en ce projet, elles ont tout lâché alors que certaines étaient quand même bien installées ailleurs avant. Peut-être que le club lui donnait un logement, et là, plus de travail, plus de logement… Je veux surtout que les gens comprennent qu’il y a beaucoup de conséquences à tout ça, et que nous, les joueuses, on est loin d’être les plus à plaindre.
PB : Et lors de l’annonce, comment ça s’est passé au sein du groupe ?
On était pas toutes la, et il y a des filles qui sont parties super vite et je n’ai donc pas eu le temps de parler avec toutes. Mais j’ai pu discuter avec une fille, et c’est vrai que elle était énervée. Limite dégoûtée. Pareil que l’intendant, elle avait un poste confortable avant ça, elle a sûrement changé de fusil d’épaule pour le salaire, et au final elle se dit : « punaise si j’avais su, jamais j’aurais quitté mon club de base ».
PB : On va passer à l’équipe de France. En septembre prochain, la coupe du monde débute. Quelles sont les ambitions de l’équipe ?
Faire un podium. Gagner une médaille aux championnats du monde. C’est jusqu’à ce jour la seule compétition où on a pas encore ramené de médaille. Après, par rapport à quand j’étais plus jeune, je réalise qu’il y a plusieurs niveaux d’objectifs. Tu veux l’or, ok, mais pour commencer, il faut se fixer des sous-objectifs afin d’arriver à l’objectif principal. Il faut plusieurs paliers. Et quand je te dis plusieurs paliers, ce n’est pas deux ou trois. Tu peux te dire je prends match après match, comme tu peux te dire je prends un quart temps après l’autre, comme tu peux te dire je prends une possession après l’autre… Tu peux décliner tes objectifs de plusieurs façons, et je pense que c’est important pour ne pas se mettre trop de pression sur l’objectif final, et aussi pour se concentrer et apprécier le processus.
PB : Un avis sur votre groupe qui se compose du Canada, de la Grèce et de la Corée ?
C’est un groupe intéressant. C’est un groupe qui présente beaucoup de forces différentes. La Corée, par exemple, c’est une équipe beaucoup axée sur l’extérieur, c’est des filles qui jouent rapidement, qui courent beaucoup. Donc voilà, c’est un exemple, mais c’est surtout pour dire qu’il y a 4 équipes, et 4 forces différentes. Ce sera un bon moyen de nous préparer et nous mettre en jambes pour la suite. Et bien entendu on compte terminer premières du groupe pour nous mettre dans les meilleurs conditions.
PB : Cette année, comme souvent, les Etats-Unis sont favorites…
Ah oui je vais pas te dire le contraire ! (rires)
PB : Hormis les Américaines, vois-tu une ou plusieurs autres équipes qui peuvent tirer leur épingle du jeu ?
C’est marrant car d’année en année, les équipes changent et évoluent. Tu peux toujours avoir le même nom, porter le même maillot, jouer pour la même nation, mais l’équipe en elle même évolue ou régresse. Regarde la Russie, en 2006 au Brésil, elles battent les États-Unis. Exploit mondial. Elles avaient les armes pour. Aujourd’hui la Russie n’a plus rien à voir ! Ça fait maintenant 4 ans qu’elles ne font plus de podium alors qu’avant c’était systématique. Et pourtant, on met toujours la Russie dans les favoris, car c’est la Russie. Donc c’est compliqué, mais je dirais quand même l’Australie, et quelques nations qui se tiennent comme nous, la Turquie, l’Espagne ou encore la Chine. Et là, tu ne sais pas qui sera sur le podium… Impossible de savoir.
PB : On va se balader dans le futur. Les JO 2024, tu auras 37 ans. C’est vraiment un objectif pour toi ?
(Rires) Oui. Oui, je trouve que c’est beau de finir sur son sol, pour une compétition planétaire qui plus est. Donc oui, je souhaite aller jusque là. On s’est battues pour avoir les JO, et pour moi ce serait la meilleure fin possible.
PB : On l’a dit, tu es actuellement sans club. Tu as déjà des pistes ? Ouverte à toute proposition ?
Alors oui je suis ouverte, oui j’ai déjà des contacts. Je prend le temps. Aujourd’hui, pour moi, il s’agit de rejoindre un club avec un projet qui a du sens à mes yeux. Ce n’est plus rejoindre un club pour rejoindre un club, ou alors rejoindre un club pour gagner des titres comme j’ai pu le faire par le passé… C’est une vraie orientation. Je veux que ce soit un projet qui m’aide à évoluer sur le plan personnel également.
PB : Donc si un projet te plaît en France, il est possible de t’y revoir cette saison ?
Oui c’est possible.
PB : Concernant la WNBA, tu as tiré un trait définitif dessus, ou tu peux y retourner la saison prochaine ?
Non, je peux y retourner ! J’ai une bonne relation, et des que je leur ai annoncé pour cet été, il m’ont direct dit : « l’année prochaine on t’attend, hein ! ». J’ai de bons contacts en WNBA.
PB : Pour finir, sur ton blog, ton dernier article de la saison se terminait par cette phrase : « parce ce qu’il y a d’autre rêves qui méritent d’être vécus ». Qu’est ce que cela signifie ?
Pour être totalement transparent avec toi, depuis des années, je me suis cantonnée à n’être qu’une joueuse. La passion était trop forte, je ne vivais que basket, je mangeais basket, je buvais basket, je dormais basket. Je me suis jetée dedans de plein pied, le corps entier même… Sauf qu’avec le temps, avec le recul, j’ai réalisé que je rêvais d’autres choses. De voyager, de rencontrer des gens, de me porter volontaire pour les Caraïbes après des ouragans… Je veux me porter volontaire, aider les autres. C’est des choses dont je rêvais, et je dis bien « rêvais » car je n’avais pas le temps. Avec le championnat en Europe, eux États-Unis, les campagnes internationales, je me retrouvais avec 15 jours de vacances par an. Sur 365 c’est rien, t’as rien le temps de faire, de zapper, de rêver. Du coup je me suis dit ; « Stop. Je veux arrêter de rêver, je veux vivre mes rêves. »
PB : C’est tout ce que nous te souhaitons. Merci pour cet entretien.
Propos recueillis par Guillaume Borelly
à Lyon le 18 juin 2018