L’histoire d’amour entre Shawn Kemp et Seattle ne sera jamais terminée. Dans un article publié sur The Player’s Tribune, il revenait en avril dernier sur cet idylle avec les Sonics, ses fans, sa ville, son coéquipier Gary Payton. Il exprimait aussi le manque qu’il ressent depuis la disparition de la franchise. A l’occasion de son 49 ans, on vous propose de lire (ou relire) notre traduction intégrale de ce récit, à la fois intime et touchant.
« Les gens viennent à ma rencontre quand ils me voient dans Seattle et disent des trucs comme « Hey, tu vis où maintenant mec ? »
À Seattle, mec. Je ne suis jamais parti.
Personne ne me croit quand je dis que je n’ai quasiment pas bougé depuis 1989. Je veux dire, après avoir quitté les Sonics pour Cleveland – c’était vers ’97 – j’ai bougé un peu partout avant que ma carrière se termine. Mais même quand je jouais en Italie, j’ai toujours gardé ma maison à Seattle. Je n’avais aucun doute que je reviendrais un jour. Et, vous savez, beaucoup de choses ont changé ici. Le coeur de la culture est toujours le même. Mais beaucoup de choses ont changé.
Mais mec, la ville n’est juste pas la même sans le basket. Ce n’est plus comme c’était.
C’est marrant d’y penser aujourd’hui, mais en ’89 j’étais la personne la plus jeune en NBA. Un gamin de 19 ans – et je suis le premier à admettre que je ne connaissais pas une seule chose dans le fait d’être professionnel ou de vivre seul ou quoique ce soit. Ça ne me paraissait pas être un truc important malgré tout. J’étais jeune. J’avais faim. Je voulais dunker sur des gars, sortir la nuit, et encore dunker sur eux le lendemain.
Et j’ai eu de la chance. Beaucoup de gars qui arrivent dans la ligue avec ce genre de mentalité ne restent pas longtemps. J’ai appris de gars comme Xavier McDaniel, Nate McMillan, Michael Cage – les vétérans qui étaient à Seattle quand je suis arrivé. Ils m’ont tous appris très tôt qu’il y avait bien plus à faire dans le jeu que d’attendre en bas pour dunker.
Mon année rookie était une grande transition. J’étais un adolescent qui devait commencer à suivre des règles, à s’entrainer dur chaque jour dans le gymnase, à étudier des rapports de joueurs dans mon temps libre – juste m’éduquer sur le basket. On dit toujours « C’est un métier », mais ça ne devient réellement un job que si tu apprends à l’aborder comme un job.
Mon année rookie ressemblait donc à ça – grandir en quelque sorte. Quand je suis revenu pour ma deuxième saison, j’étais prêt à montrer tout mon potentiel. Je n’allais rien laisser m’empêcher d’être dominant.
Nous avions le second choix de la draft cette année-là.
Nous avons choisi ce gars nommé Gary Payton.
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Gary était déjà renommé, surtout dans l’Oregon et l’état de Washington. C’était un All-American (équivalent de All-Star au lycée, ndlr). Il avait déjà été sur la couverture de Sports Illustrated, tout ça.
Je me rappelle de la première fois où je l’ai vu joué. C’était lors de mon année rookie. Je crois que c’était un vendredi après-midi, et notre GM, Bob Whitsitt, m’avait appelé. Il m’a dit de regarder le match Oregon State-USC à la télé parce qu’il y avait une possibilité que ce gamin nommé Gary soit mon futur coéquipier. C’était pas mal cool de voir le GM me demander de faire le scout – genre vraiment regarder, vraiment étudier le jeu d’un prospect. À cette époque j’essayais d’être un pro et un bon coéquipier. Je voulais prendre mon travail au sérieux.
Vous savez quel était mon souvenir principal de ce match ? Gary qui gueulait. Ni la conduite de balle de Gary, ni sa défense, c’était ses aboiements. Il parlait à tout le monde. Que ce soit avant le coup d’envoi jusqu’au buzzer final, le gars parlait – et genre, énervé, pas des plaisanteries. De chaque côté du terrain, aux gars du banc, aux fans de USC, aux arbitres – ça n’avait pas d’importance. Personne n’était en sécurité. Je me rappelle rapprocher ma chaise de ma télé pour essayer de distinguer les choses qu’il disait au coach de USC. Le coach adverse, mec ! Un gamin d’université. J’ai adoré. Gary avait quelque chose à dire à tout le monde.
Il a fini le match avec 58 points si je ne me trompe pas.
Juste après que le match se soit terminé, j’ai appelé notre direction.
« Si on obtient un gars comme ça, vous n’aurez rien à faire pour me motiver. »
C’est ce que je leur ai dit.
On doit obtenir Gary. On va être inarrêtable tous les deux.
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Bernie Bickerstaff était le coach lors de mon année rookie. Puis K.C. Jones l’a remplacé l’année suivante, l’année rookie de Gary. Tout de suite, Gary et K.C. ne se sont pas très bien entendus. Après toutes ces années, Gary et moi nous rappelons toujours de K.C. et à quel point il nous a appris malgré tout – à quel point il a été important dans notre développement. Il était dur, mais vous devez vous rappeler que K.C. venait des Celtics, d’une culture de champions, où il coachait certains des meilleurs gars qui soient jamais passés par la ligue. Il dessinait des systèmes sur l’ardoise pour Larry Bird et Kevin McHale.
Et tout à coup, il devait dessiner des systèmes pour Shawn Kemp et Gary Payton. Avec nous, mec, on était des gosses. On avait beaucoup de talent, mais on ne savait pas encore quoi en faire.
Je crois que les observateurs du basket n’apprécient pas à sa valeur ce que K.C. Jones a fait pour l’équipe des Sonics. Même cette année-là, il nous a beaucoup appris sur la maturité, aussi bien en dehors du parquet, à l’entrainement ou en match. Gary et moi discutons toujours sur l’importance qu’il a eu dans notre formation pour les années suivantes.
L’une des choses avec lesquelles j’avais du mal au début de ma carrière, c’était d’apporter à chaque match. En NBA, tu dois être prêt à gagner tous les soirs. Je sais que ça fait cliché, mais la vérité c’est qu’en débutant aux Sonics, on a eu de la chance. Ils étaient déjà une équipe à 50% de victoires, avec des vétérans qui connaissaient la ligue. On pouvait entrer sur le terrain et jouer du bon basket juste grâce à notre instinct. En dehors du parquet, Gary et moi passions notre temps dans des bars ou à trainer n’importe où. On essayait de profiter de tout. Mais les grandes équipes NBA ne prennent jamais de congé. Tu as beau travailler toute la semaine à l’entraînement, quand tu rencontres l’une de ces équipes, tu vas perdre.
Je me souviens quand Xavier McDaniel m’a dit cash qu’il ne voulait pas que l’on implique l’équipe là-dedans. Les autres vétérans ne voulaient pas perdre de temps, et pas seulement parce qu’ils voyaient le rideau progressivement se tirer. C’est parce qu’ils considéraient le job comme des professionnels.
Xavier et ces gars nous ont permis à Gary et moi de ne pas avoir de carrières ordinaires. Ils nous ont poussé et ont essayé de nous responsabiliser. C’est marrant parce que j’étais un peu plus facile à encadrer pour les vétérans. Ça a vraiment pris du temps pour que tout le monde comprenne Gary. Comme je l’ai dit, quand je suis arrivé en NBA, j’étais confiant, mais j’étais toujours un bébé. Je crois que j’ai réalisé que tout le monde me voyait comme cet adolescent qui venait directement d’un lycée public de l’Indiana. Quand les gars plus vieux me disaient de faire quelque chose, je le faisais. Je n’ai jamais rien fait de plus que ce qui m’était demandé. C’est simplement ce que n’importe quel joueur traverse en tant que rookie. Des fois tu dois te trimballer un sac en plus, ou donner un Coca à quelqu’un ou un jeu de cartes. Pour moi ce n’était jamais un problème.
Mais Gary… Nan. Il n’essayait même pas de faire ces chose-là.
Il était le deuxième pick de la draft et il se baladait genre, vous savez, trimballer le sac de quelqu’un d’autre n’était pas dans son contrat. Les gars s’agaçaient parfois avec lui, mais la plupart du temps, tout le monde laissait passer parce qu’ils savaient que Gary avait les capacités et les tripes pour assumer ses paroles. Genre, même lors de son année rookie, tout le monde considérait en quelque sorte que Gary pouvait être le futur des Sonics. Mais si tu avais dû renvoyer chaque joueur ou coach avec qui il ne s’entendait pas au départ, tu n’aurais pas eu une grande profondeur de banc. Il y a donc eu une période d’ajustement entre Gary et les autres. Mais ça en valait la peine.
Alors que Gary s’intégrait, tout le monde voyait à quel point nous étions chanceux de l’avoir – et de ne pas avoir à jouer contre lui. Le fait que Gary aboie sur tout le monde à l’entrainement nous motivait. Ça nous rendait meilleur. Il était un problème, mais il était notre problème.
Il y a une histoire que Gary raconte sur un match de présaison où il a provoqué Michael Jordan et où MJ l’a humilié. Je m’en rappelle. Je pense que pour toute l’équipe, voir Gary s’avancer et confronter MJ, c’était comme… C’était symbolique. C’était un grand signe. Un gosse qui se bat avec la brute de la cour de récré.
J’ai de la chance d’avoir vu MJ dans son prime, le Michael Jordan « MVP-qui-arrive-pour-te-tuer-dans-le-début-des-’90« . J’étais seulement dans la ligue depuis un an à ce moment-là, mais sérieux – ça n’a pas pris longtemps à tout le monde pour réaliser que quand tu affrontais Jordan, tu pouvais sortir le meilleur match de ta vie, jouer à la maison, jouer le jour de ton anniversaire – il pouvait même avoir la foutue grippe – n’importe quoi ! Tu pouvais avoir toutes les chances en ta faveur, MJ te plantait 25 points en première mi-temps en tirant la langue… Il détruisait toute l’organisation de ton équipe. Il vivait pour ça.
Donc lorsque nous avons vu à quel point Gary pouvait être sans peur face à Michael, on l’encourageait. On allait tous le voir, en lui disant de continuer et de ne pas baisser les bras. Gary nous a amené toute cette hargne et ce combat que Seattle a pratiqué pendant toutes ces années. Après quelques temps, on commençait à avoir une sorte de réputation. Seattle était physique. On ouvrait notre gueule. Peu importe que l’on gagne ou que l’on perde, les Sonics étaient spéciaux parce que nous pensions toujours que nous avions une chance en nous battant.
C’était le moment de Gary en tant que rookie, et il n’est même pas si mauvais. Michael était juste Michael.
Lorsque j’ai affronté Bill Laimbeer pour la première fois, j’ai eu droit au même traitement.
C’était en 1989. Je sortais du banc quand j’étais rookie. Les Bad Boys de Detroit étaient toujours en pleine forme, et il sortait de leur premier titre de champion.
Je jouais bien depuis quelques semaines. On gagnait des matchs et je dunkais sur tout le monde. Je pensais que j’allais dominer pour toujours, comme quand tu joues contre des gamins du voisinage avec le cercle baissé.
On jouait les Pistons un soir et il était tôt dans le match. Je me suis retrouvé ouvert à l’intérieur et j’ai dunké sur Bill Laimbeer. Detroit a appelé un temps mort. Je me sentais bien. En me dirigeant vers notre banc, j’ai vu que Laimbeer me pointait du doigt.
Est-ce qu’il est entrain de me pointer du doigt ?
Il ne pouvait pas me pointer du doigt. Je venais juste de lui dunker dessus.
Je l’ai pointé du doigt à mon tour.
Les Bad Boys n’ont pas obtenu ce surnom juste parce qu’ils étaient bons en défense. C’était des gars méchants. Ils te blessaient. Je n’avais jamais vraiment joué au basket contre des gars comme ça.
Le temps-mort s’est terminé, on a pris un rebond, et quelqu’un m’a passé le ballon dans la peinture de l’autre coté du terrain.
Laimbeer était derrière moi.
Je ne sais pas ce qui s’est passé après. Je me suis réveillé à l’hôpital.
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Je vais vous dire un truc. Je dors beaucoup mieux qu’avant.
Toutes ces sorties, à aller en boite avec Gary après les matchs. J’ai l’impression que c’était il y a longtemps. On se voit toujours de temps en temps malgré tout. Mais on s’est calmé.
Ma mère et la mère de Gary sont devenues amies. J’ai appris à connaitre la famille de Gary, et il a appris à connaitre la mienne. On a même vu nos fils s’affronter dans un match de basket universitaire à Seattle il n’y a pas longtemps.
C’est surréaliste, mec. On avait l’habitude d’en plaisanter pendant toutes ces années, qu’un jour on regarderait nos fils jouer au basket comme on le faisait.
Et maintenant c’est genre – de voir cette situation se passer avec nos deux fils à l’université – c’est juste difficile à croire. Être capable de partager certaines expériences que l’on a vécues en tant que joueurs avec nos enfants et avec la famille de l’autre… Si l’on se souvient du genre de gars que l’on était à cette époque-là, et à quel point les choses ont changé pendant toutes ces années, c’est fou.
J’ai été papa durant l’ensemble de ma carrière de joueur de basket. J’ai raté beaucoup de moments avec ma famille pendant que je jouais, et c’est parfois difficile de se remémorer ça. Et je peux vous dire que je n’ai certainement pas toujours été le meilleur modèle pour mes enfants. Mais j’ai toujours essayé d’apprendre. Et tu apprends finalement que comme dans le basket – une implication quotidienne est importante.
La paternité, le basket. Tout ça prend du temps. Même si pour la paternité, il n’y a pas de coachs ou de vétérans qui s’assurent que tu t’y prends bien. Tu es tout seul sur l’ensemble du chemin. Je suis vraiment reconnaissant envers ma famille, ma carrière, et d’avoir des amis de longue date. Je suis reconnaissant pour tout.
« Stockton et Malone », c’est ce que Gary et moi avions l’habitude de dire à l’entrainement. Ils étaient les gars dont on s’inspirait, tout d’abord lorsque l’on voulait améliorer notre jeu. Et c’est marrant, c’est le seul duo pour lequel tu ne peux pas mentionner l’un des noms sans automatiquement penser à l’autre.
C’est maintenant un honneur d’entendre les gens dire la même chose à propos de Gary Payton et Shawn Kemp. C’est quelque chose qui va au-delà du basket – une histoire sur le terrain et une vraie amitié en dehors, même après toutes ces années.
Je suis toujours là à Seattle, mec. Je suis marié depuis 23 ans maintenant. Après avoir passé mon temps en déplacement, je suis devenu un mari et un père. J’ai vu la ville changer drastiquement, mais elle possède toujours ses fans passionnés, et c’est toujours une ville qui adore le basket, même en n’ayant pas réellement d’équipe à suivre. Depuis le jour où je suis arrivé, j’ai tellement bien été traité par les gens ici. Et l’histoire d’amour a duré bien plus longtemps que ma carrière. J’ai à nouveau été accueilli à bras ouverts dès que ma carrière de joueur s’est terminée (il a passé six saisons en dehors de Seattle avant de prendre sa retraite, ndlr).
Le basket m’a emmené partout dans le monde, et après avoir vu tant de chose pendant toutes ces années, je peux dire avec certitude qu’il n’y a pas un seul endroit où je préfèrerais être dans ce monde.
Mais quelque chose ne va pas. Il manque quelque chose. Nous voulons le retour des Sonics.
Tant de grands moments de sport se sont passés ici. Tant de légendes du jeu ont eu leurs moments à Seattle. Je sais que le fait que la NBA instaure une nouvelle équipe maintenant mettrait le désordre, mais quelque chose cloche sans les Sonics ici.
Je crois que ça va arriver – on aura à nouveau une équipe un jour. Je ne sais pas quand, ou comment, mais je le sens. Le basket va revenir à Seattle.
Et je serai toujours là quand ça arrivera. »
Une lettre traduite en intégralité par nos soins depuis l’article de The Player’s Tribune
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