A quelques semaines de la reprise de la saison NBA, impossible d’échapper à la triste polémique qui enfle autour des athlètes afro-américains et de Donald Trump. Une situation inédite, qui n’a de surréaliste que son aspect, et qui met en avant une fracture profondément inquiétante.
Ce sont les propos qui ont mis le feu aux poudres et déclenché le feu et la furie, celle-là même que Donald Trump aime à promettre à la Corée du Nord. Ce 22 septembre, l’éloquent locataire de la Maison Blanche s’exprime devant un parterre d’invités. Agacé par les protestations d’athlètes qui se multiplient durant l’hymne national en NFL, le 45ème président des Etats-Unis aborde le sujet et s’emporte :
« N’aimeriez-vous pas que les patrons de NFL disent, quand un athlète manque de respect à notre drapeau : « Virez-moi ce fils de p*te du terrain tout de suite, dehors ! Il est viré ! Viré ! »
Si elle a été le départ de la médiatisation mondiale de la polémique, cette sortie d’une rare indignité est aussi un aboutissement : celui de longs mois de tensions qui ont vu les athlètes défendre la cause noire, s’opposer à Donald Trump, et bien souvent faire les deux en même temps. Ne nous-y trompons pas : jusqu’aux évènements de ces derniers jours, les choses étaient sous contrôle. Oui, le joueur de NFL Colin Kaepernick a été le premier à s’asseoir pendant l’hymne (geste qu’il a modifié en agenouillement après une discussion avec un soldat pour malgré tout honorer les troupes américaines), et oui, d’autres joueurs lui ont emboité le pas. Mais ceux-ci étaient rares, marginaux, et somme toute pas très influents… Jusqu’au désastre communicationnel de Donald Trump.
Le lendemain de sa sortie insultante en public, l’ancien homme d’affaires en remet une couche. Vexé par l’hésitation des Golden State Warriors à venir le voir lors de la traditionnelle visite à la Maison Blanche, il se fend d’un tweet assassin. En 140 caractères, il met en accusation la superstar Stephen Curry et retire officiellement l’invitation. La franchise s’en désole, la NBA aussi. Pas Trump. Il assume, et répète une version édulcorée de ses propos de la veille : « Quand on veut le privilège de gagner des millions de dollars en NFL ou dans une autre ligue, on n’a pas le droit de manquer de respect à notre grand drapeau américain, et on se lève pour l’hymne. Sinon, on vire ! »
Going to the White House is considered a great honor for a championship team.Stephen Curry is hesitating,therefore invitation is withdrawn!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 23 septembre 2017
Cette séquence catastrophique, où l’impulsivité se dispute à la bêtise, est lourde de conséquences. Les propos inqualifiables du président déclenchent une cascade de réactions. LeBron James, qui figure parmi les athlètes les plus influents du pays, traite publiquement Donald Trump d’idiot dans un tweet d’une ampleur exceptionnelle (650.000 retweets et 1,5 million de likes). En NFL, ce ne sont désormais plus quelques joueurs isolés qui s’agenouillent pendant l’hymne, mais l’écrasante majorité. La contestation s’exporte jusqu’à la WNBA. Lors du match 1 de la finale joué ce 24 septembre, les Los Angeles Sparks choisissent de rester dans les vestiaires durant l’hymne. C’est le premier cas recensé dans notre sport. On ne peut qu’imaginer l’attitude de la plupart des joueurs NBA lors de la reprise de la saison dans moins d’un mois si les esprits ne s’apaisent pas d’ici-là. Se posera alors la question de la gestion d’une situation de tension et d’opposition indéniablement inédite.
Au-delà des faits, que nul ne peut prédire, le signal envoyé est très inquiétant. Alors que le monde va bientôt basculer vers la troisième décennie du nouveau millénaire et que la polarisation raciale a été chassée du vocabulaire des dirigeants politiques occidentaux depuis de très nombreuses années, une amère impression de retour en arrière subsiste. Le nerf de la guerre ? Le racisme sous-jacent imputé à Donald Trump. L’homme n’en est pas à son coup d’essai, d’autant que chacun se souvient de la campagne qu’il a mené. Et s’il n’incrimine pas directement les afro-américains, la visée de ses propos ne laisse que peu de doutes. Stephen Curry glisse habilement :
« Je ne sais pas pourquoi il ressent le besoin de cibler certaines personnes plus que d’autres… J’ai bien une petite idée, mais c’est tellement indigne d’un leader d’emprunter ce chemin. Les vrais dirigeants ne font pas ça »
Son coach Steve Kerr abonde dans son sens, et renvoie à une période traumatisante dans l’histoire américaine : « En temps normal, on aurait sûrement eu aucun problème à mettre nos différends idéologiques de côté et à y aller [à la Maison Blanche]. Mais ce n’est pas une période normale. Ce sont des moments qui divisent, comme je n’en ai jamais connu depuis le Vietnam, quand j’étais tout petit ».
Et quand le NASCAR, sport populaire auprès d’une population très majoritairement blanche et exclusivement du sud ou presque, annonce son intention de sanctionner ceux qui manqueraient de respect à l’hymne, Donald Trump est le premier à les féliciter. De quoi remuer un peu plus le couteau dans la plaie d’une Amérique divisée, tiraillée par des conflits raciaux que la simple abrogation des lois Jim Crow n’a pas suffi à éradiquer.
Alors bien sûr, les athlètes appellent à l’unité, à la célébration de la diversité, du respect de l’autre, du partage entre communautés. Bien sûr, on peut se réjouir, au milieu de ce marasme, de la capacité de cette génération de joueurs à se mobiliser et à se faire entendre sur des sujets sociétaux comme jamais auparavant. Bien sûr, il est rafraichissant et rassurant de voir des athlètes s’exprimer avec clairvoyance sur des sujets d’ampleur. Mais quelque chose semble cassé. Quiconque a fréquenté des playgrounds sait qu’il n’y a pas meilleur lieu pour partager avec des gens de toutes communautés, toutes religions, tous horizons. C’est l’essence même du sport, sa pureté, qui le rend si populaire, si emblématique des Etats-Unis, et finalement si indispensable. Il se retrouve pourtant pris en otage par un débat hargneux sur fond d’idées nauséabondes et d’arrière-goûts amers, qui, à défaut de bénéficier à qui que ce soit, s’enlise chaque jour un peu plus. Et en 2017, devoir faire ce constat est d’une rare tristesse.
Dans un contexte difficile, émaillé de violents incidents parfois mortels comme à Charlottesville récemment, le pays de l’Oncle Sam semble avoir enclenché la marche arrière et s’être engagé à contresens sur un chemin bien sinueux. Eternel échappatoire, lieu de communion, parfois même ultime recours à l’unité et dernier rempart face aux divisions, le sport semble pourtant lui aussi menacé par les relents de bien sombres idéologies. Et tout le monde, fans de sport ou non, devrait s’attrister et s’inquiéter de cette affligeante situation.