NBA – Flashback : Les Phoenix Suns de Mike D’Antoni : Les rois sans couronne

Nous avons souvent entendu parler de ces grands joueurs n’ayant jamais réussi à remporter un titre NBA. Charles Barkley, Pat Ewing, Allen Iverson, Karl Malone, John Stockton ou encore… Steve Nash. Si l’on devait parler des meilleures équipes à n’avoir jamais atteint le Graal, les Phoenix Suns de la deuxième partie des années 2000 seraient incontestablement en haut de la liste. Une équipe longtemps dominante en saison régulière, particulièrement grâce à une attaque redoutable et un plan de jeu bien défini : le « run and gun » . Retour sur cette équipe incroyable qui a totalement transformé le jeu, et dont l’héritage et l’empreinte affectent plus que jamais la ligue actuelle.

La patte D’Antoni

Décembre 2003. Les Suns viennent de perdre six de leurs sept derniers matchs. Un revers de 20 points face au Heat est celui de trop. Frank Johnson, le coach en poste, est limogé. Cet ancien joueur des Suns au début des années 90, avait réussi une saison honorable pour son premier exercice en tant qu’entraîneur, avec un bilan de 44 victoires pour 38 défaites et une élimination au premier tour des playoffs face aux Spurs, futurs champions. Mais en ce début de saison, l’équipe traverse une période de doute et Bryan Colangelo, alors président, décide de le remplacer par son assistant : Mike D’Antoni. Stephon Marbury, Amare Stoudemire, Joe Johnson, Penny Hardaway, Shawn Marion… l’effectif est intéressant, mais les automatismes ne sont pas au rendez-vous. D’Antoni a pour seule expérience NBA un bagage de 50 matchs avec les Nuggets durant l’année du lockout en 1999, pour un piètre bilan de 14 victoires et 36 défaites. Sa mission : réinstaller une notion de collectif au sein d’un groupe où les individualités ont tendance à s’éparpiller.

Il s’annonce tout de suite prêt à imposer le style de jeu qui a fait son succès en Italie. Du jeu rapide, des contre-attaques à tout-va, des coupes, des shoots en première intention et tout ce qui peut éviter de laisser le temps à une défense de se mettre en place. Néanmoins, après sa prise de poste, l’équipe perd ses trois premiers matchs. Plombés par les blessures, les Suns ne se relèveront pas et termineront 13e de la conférence ouest. Mais la philosophie de jeu du nouveau coach a séduit et ces premiers résultats ne sont finalement qu’anecdotiques. En cours de saison, Marbury et Hardaway ont fait leurs valises pour les New York Knicks. Un trade qui va changer la face et l’avenir de la franchise !

La montée en puissance

Grâce à ce trade, les Suns possèdent une belle enveloppe financière à l’été 2004. En l’espace de deux semaines, Bryan Colangelo signe Steve Nash et Quentin Richardson, deux free agents très en vue. Le premier, drafté par les Suns en 1996 avait connu deux premières saisons mitigées dans l’Arizona. Ce retour est l’occasion pour lui de démontrer aux fans son évolution depuis son départ. Le second, gâchette des Clippers pendant quatre ans, vient former un duo de scoreurs-shooteurs sur les postes extérieurs aux côtés de Joe Johnson. C’est le début du show !

Mike D’Antoni a désormais les joueurs à disposition pour exploiter au maximum sa philosophie de jeu. La marque est déposée : le « 7 seconds or less ». L’arrivée de Nash change tout. Grâce à sa maîtrise sur les attaques placées, les menaces peuvent varier et l’animation offensive reste tout aussi dangereuse par l’utilisation du pick-and-roll, qui devient alors très précieux et l’une des marques de fabrique des Suns. Portée par sa complicité avec Amare Stoudemire. Une relation en or qui rappelle très vite les plus belles heures du tandem Stockton-Malone. Les Suns roulent sur tout le monde et ne perdent que 4 de leurs 36 premiers matchs. À l’issue des 82 matchs de saison régulière, ils affichent un bilan de 62-20, soit le meilleur de l’histoire de la franchise, à égalité avec leurs aînés de 1993. La fameuse grande équipe de Phoenix composée de Charles Barkley, Kevin Johnson et Dan Majerle, qui s’était inclinée en finale face aux Bulls, en 6 matchs. Steve Nash a réussi son retour et est alors le meilleur chef d’orchestre du monde. Il a marché sur l’eau toute la saison et est élu MVP, devançant de peu Shaquille O’Neal. Avec des stats de 15.5pts, 11.5asts, 3.3rbds. D’Antoni, lui, est élu coach de l’année.

Les Suns se présentent en playoffs avec le meilleur bilan de la ligue et confirment, en passant les deux premiers tours sans trembler. Memphis se fait sweeper et Dallas ne prend que deux matchs dans une belle série, dans laquelle Nash fait la leçon à son ancienne équipe, avec des moyennes de 30 points et 12 passes en 6 matchs (son game 6 en images dans la vidéo ci-dessous). Mais l’obstacle le plus redouté aura raison d’eux. Comme il y a deux ans, les Spurs effacent les Suns de leur route vers le titre. Face à l’expérience texane, Phoenix paye la faiblesse de son banc et s’incline en 5 matchs. Un nouveau chapitre cruel face aux hommes de Popovich, et pas le dernier…

https://www.youtube.com/watch?v=qvLDBdACoJM

La désillusion de 2007

Marquée par cet échec, la franchise veut rebondir en se renforçant. Joe Johnson est envoyé à Atlanta contre Boris Diaw et des tours de draft. Raja Bell, James Jones et Eddie House viennent apporter encore un peu plus d’adresse extérieure. Malheureusement, la fragilité d’Amare Stoudemire refait surface. Le meilleur scoreur des Suns se blesse gravement au genou en pré-saison et doit se faire opérer, il manquera toute la saison 2005/2006, hormis 3 matchs en mars. Un bref retour qui coûte cher à l’intérieur, alors absent pour une durée indéterminée après avoir rechuté dans une défaite de 38 points face aux Nets. Mais il en faut plus pour abattre les Suns, qui déroulent quand même. 54 victoires, meilleure attaque de la ligue pour la deuxième saison consécutive, et une ribambelle de récompenses individuelles, dont un Most Improved Player pour Boris Diaw et un nouveau titre de MVP pour Steve Nash, celui-ci beaucoup plus contesté que le premier. La troupe est renforcée par le recrutement de Tim Thomas qui apporte des points précieux en sortie de banc, mais l’absence d’Amare Stoudemire va tout de même leur être fatale en playoffs. Menés 3-1 par les Lakers de Kobe, ils reprennent finalement le dessus, remportant trois « do or die » games de suite. Avant de se faire très peur, de nouveau, dans une série très serrée en 7 matchs contre les Clippers.

En finale de conférence, face à Dallas, les Suns mènent 1-0 et sont devant dans le match 2, à 10 minutes de la fin, en terre adverse. Une occasion de mener 0-2 finalement ratée, à cause notamment d’un gros dernier quart-temps de Dirk Nowitzki qui évite le pire aux siens. Les Mavericks remportent ensuite le match 3, afin de reprendre l’avantage du terrain et psychologique. Dirk et les siens prennent leur revanche des playoffs précédents et le Texas est une nouvelle fois trop fort pour Phoenix. Dallas file en finale NBA face à Miami, Phoenix rentre à la maison.

Nous pouvons gagner 55 à 60 matchs sans qu’il revienne. Le plus difficile c’est de se dire : « que va t-il se passer s’il revient durant la saison ? » . S’il a du mal, ça peut tout compliquer. Ça peut saboter une équipe.

Mike D’Antoni est alors conscient que le retour de Stoudemire peut aussi bien être la solution que le problème. Mais les Suns ont besoin d’un scoreur. Un go-to player qui leur permettrait d’aller chercher ce titre tant voulu. Et il n y a pas à aller chercher ailleurs, ce joueur est dans l’équipe. Stat est de retour pour le premier match de la saison en tant que remplaçant. Phoenix et sa star ont besoin de temps d’adaptation. Le début de saison est compliqué (5 défaites sur les 6 premiers matchs) mais une fois lancé, le diesel retrouve son rythme de croisière. À cheval sur fin décembre 2006 et janvier 2007, les Suns enchaînent 17 victoires. Mieux que leur 15 succès d’affilée sur novembre/décembre. À une victoire près (61-21), ils manquent d’égaler leur meilleur bilan historique et terminent une nouvelle fois meilleure attaque du pays. Les Suns semblent plus armés que jamais, à l’image de leur banc porté par Leandro Barbosa, 6e homme de l’année.

« L’attaque ne fait pas gagner des titres » . Steve Nash et sa bande, 23e défense de la ligue, semblent en position de faire mentir cette célèbre affirmation et de définitivement faire revoir à tout le monde la vision de ce qu’il faut pour aller chercher une bague. Nash est toujours dans son prime, Stoudemire est reboosté, la polyvalence de Marion et Diaw offrent un nombre de solutions illimitées des deux côtés du terrain, la sangsue Bell est capable d’éteindre n’importe quel scoreur, le feu-follet Barbosa peut prendre feu à tout moment d’un match… La cohésion entre toutes ces pièces semble avoir atteint son zénith au sein de ce système unique et ne demande qu’à être mise à l’épreuve.

Après avoir de nouveau éliminé les Lakers au premier tour, l’équipe se présente en demi-finale de conférence ouest face à San Antonio, sa bête noire. La rivalité entre les deux franchises est plus intense que jamais et cela se vérifie dès le premier match. Dans un choc avec Tony Parker, Steve Nash se fait ouvrir le nez. Dans les matchs 2 et 3, Bruce Bowen est accusé d’avoir donner un coup de pied à Stoudemire et frappé Nash à l’entrejambe.

Le tournant de la série a lieu dans le match 4. Alors que les Spurs perdent le contrôle du match, un Robert Horry frustré colle un tampon à Steve Nash qui percute la table de marque. Révoltés par le geste, les coéquipiers du meneur canadien s’attroupent pour demander des comptes à l’auteur du coup. Parmi eux, Boris Diaw et Amare Stoudemire. Alors sur le banc, les deux joueurs se lèvent et entrent sur le terrain…

https://www.youtube.com/watch?v=t3LjDlMd12g

C’est l’action qui va tout remettre en question. Sans le savoir, ce bon vieux Robert Horry vient encore de prouver sa clutchitude. La ligue décide de suspendre Diaw et Stoudemire. Les deux joueurs n’ont pas pris part à l’altercation mais se seraient trop éloignées de leur banc, selon le rapport. Une décision dur à comprendre dans un tel contexte. Horry reçoit, lui, deux matchs de suspension pour son acte ainsi qu’un coup porté au visage de Raja Bell durant l’échauffourée. Mais il s’agit d’une bien maigre consolation pour les Suns, qui eux, seront privés de deux de leurs titulaires pour un match 5 plus qu’essentiel à domicile, dans cette série équilibrée à 2-2. À l’époque, les propos d’Amare Stoudemire sont amers :

Je suis déçu que la NBA ait suivi la règle à la lettre sans prendre en compte l’esprit de la règle. J’admets être entré sur le terrain, et que j’aurais dû avoir plus de retenue. Mais Tim Duncan a fait la même chose, c’est juste qu’il l’a fait d’une façon moins agressive. Les règles sont les règles et je les respecte. Et dans cet esprit, je pense qu’il aurait été bénéfique pour la ligue d’examiner de plus près le cas Duncan.

Sans surprise, Phoenix s’incline sans ses deux joueurs majeurs dans le match 5, et ne survit pas à l’enfer de l’AT&T Center deux jours plus tard. Alors que le titre semblait plus à portée que jamais, D’Antoni et ses joueurs n’auront même pas l’occasion d’accéder aux finales de conférence. Une injustice plus qu’un échec, qui aujourd’hui encore, fait cauchemarder les fans de la franchise.

Dernières fulgurances et début de la fin

Cette élimination est celle de trop. Pour la saison 2007/2008, Phoenix continue à être une équipe compétitive mais la stabilité n’est plus là. Grant Hill débarque et relègue Boris Diaw à un rôle de remplaçant. Un Shaquille O’Neal vieillissant arrive contre Shawn Marion, qui fait le chemin inverse vers le Heat de Miami. Les cadres ne sont donc plus les mêmes et le départ de l’ailier polyvalent en février 2008, marque la fin d’une ère. Celle du trio de All-Star composé de Nash-Stoudemire-Marion. Pour la quatrième fois en six saisons, Phoenix s’incline face à San Antonio en playoffs. Encore et toujours. Cette fois, dès le premier tour. Après la saison, Mike D’Antoni quitte le navire et s’engage avec les New York Knicks. Une décision qu’il regrette encore, comme il l’avait expliqué à ESPN il y a quelques années:

Je n’aurais pas dû aller à New York. J’aurais dû rester là-bas et me battre. Vous ne vous retrouvez pas à coacher quelqu’un comme Steve Nash trop souvent. C’est vraiment sacré et vous devez en prendre soin. Je ne l’ai pas fait.

La saison suivante, sous les ordres de Terry Porter puis Alvin Gentry, dans une conférence ouest au niveau extrêmement élevé, ils ne goûteront même pas à la post-season malgré un bilan de 46 victoires pour 36 revers. Invraisemblable. Gentry s’offrira par la suite une belle revanche avec une saison accomplie, récompensée par le cinquième bilan de la ligue et une finale de conférence inattendue face aux Lakers. Il réussit à faire ce que D’Antoni n’avait jamais réussi à faire : sortir les Spurs. Et avec la manière. 4 à 0. Avec un cinq de départ composé de : Steve Nash, Jason Richardson, Grant Hill, Amare Stoudemire et Robin Lopez, les Suns délivrent une saison plus qu’aboutie. Mais ils ne marqueront pas les esprits comme l’a fait l’équipe historique de 2005 ou l’armada de 2007. Après la séparation du duo Nash-Stoudemire à l’été 2010, une page se tourne définitivement et les Suns ne reverront plus une seule fois les playoffs dans cette nouvelle décennie.

L’héritage

Trop softs, trop négligents en défense, trop stéréotypés… Les Suns ont également eu droit à leur lot de critiques durant cette période faste. Mais ce qu’on retiendra, c’est qu’ils ont révolutionné le jeu avec un up-tempo rarement constaté et des associations de joueurs insoupçonnées, à l’image du « small ball » à l’extrême. Aujourd’hui, ces pratiques sont devenues monnaie courante dans le basket moderne. La meilleure équipe du monde depuis trois ans, les Golden State Warriors, n’est autre que la petite sœur de ces Suns là. Un passage de relais qui a permis à l’élève de dépasser le maître. General Manager des Suns de 2007 à 2010, Steve Kerr a été associé pendant une saison à Mike D’Antoni. Si la relation entre les deux hommes n’était pas forcément au beau fixe, l’ancien shooteur des Bulls a énormément appris aux côtés de son partenaire de l’époque. Un schéma de jeu dont il s’est beaucoup inspiré lors de son premier job de coach, à Golden State, où il nous a offert des airs de déjà vu. Stephen Curry, Klay Thompson, Draymond Green et Andre Iguodala sont devenus les Steve Nash, Raja Bell, Boris Diaw et Shawn Marion d’un autre temps. Mais les Warriors ont, eux, incorporé une défense collective à leur recette, ce qui fut le gros point faible des Suns dans la quête d’un titre. Les Suns de D’Antoni étaient le prototype, les Warriors de Steve Kerr, le produit fini. Kerr ne s’en cache pas :

Mike D’Antoni a, en quelques sortes, initié ce style à Phoenix. Le jeu a commencé à s’écarter. Toute la ligue s’est mise à jouer avec des postes 4 et 5 qui shootent, et à jouer plus vite. Je pense que Mike et Steve Nash, de bien des façons, ont ouvert la voie pour Steph Curry et les Warriors.

Aujourd’hui aux Rockets, Mike D’Antoni fait perdurer sa vision du basketball qu’il n’avait pu que difficilement mettre en pratique lors de ses passages à New York et Los Angeles. Avec un James Harden reconverti en meneur, des artilleurs de partout et des intérieurs athlétiques, les résultats sont pour l’instant plus que probants. En attendant l’arrivée d’un certain Chris Paul.

On pourra bien évidemment essayer de refaire l’histoire en se demandant que se serait-il passé si Stoudemire et Diaw n’avaient pas été suspendus lors de cette fameuse demi-finale de conférence ? Ou si Bruce Bowen et Tim Duncan avaient eux aussi subi une suspension pour équilibrer les débats ? En cas de titre cette année-là, auraient-ils été en mesure de créer une dynasty ? Des questions qui resteront sans réponses.

De 2004 à 2008, sous les ordres de D’Antoni, « la franchise du soleil » a enchaîné quatre campagnes à plus de 54 victoires, pour un total de 232 succès pour seulement 96 défaites. Terminant chacune de ces saisons avec le meilleur pourcentage à trois points et à 3 reprises meilleure attaque du championnat et en tête au nombre de passes décisives. Ces messieurs ont été des influenceurs qui ont changé la face de la NBA à jamais. Pour certains, en bien. Pour d’autres, en mal. Les regrets seront toujours là, mais la reconnaissance aussi. Certaines équipes ont gagné, mais nous les avons oublié… Pas ces Suns. Car même s’ils n’ont jamais eu droit à la couronne, ils resteront pour toujours l’une des équipes reines des années 2000.

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